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Situation politique en France après le premier tour des élections

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Situation politique en France après le premier tour des élections

D’abord battre Le Pen, puis combattre Macron 

par Adriano Voslon

Beaucoup le savaient ou le pressentaient: la Ve République est à bout de souffle, elle arrive à son terme. Dernière illustration en date, les responsables municipaux de l’organisation du scrutin du second tour ne trouvent pas assez d’assesseurs pour faire fonctionner les bureaux de vote dimanche 7 mai.

Les scandales à répétition, les trahisons de tous les gouvernements vis-à-vis de la majorité de la population composée d’employés et d’ouvriers ont accéléré le mouvement de décomposition de la Ve République. C’est le grand mouvement contre la loi dite « loi travail » qui a sonné le glas de cette forme de gouvernement des patrons qui se survivait à elle même depuis longtemps. Dès avant les élections, un bouleversement politique s’annonçait avec une campagne qualifiée par tous les médias de « hors-norme ». De fait, les quatre candidats susceptibles de se retrouver au second tour annonçaient à leur manière une rupture avec la Ve République. Le Pen en inscrivant la « priorité nationale » dans la constitution et en instituant un racisme d’État vis-à-vis des immigrés, Macron en voulant gouverner par ordonnances et avec une majorité d’élus, venant des LR, du PS ou composée de chefs d’entreprise, faite pour valider ses projets de casse sociale et de législation pro-bourgeoise. Fillon, lui, avec toutes ses affaires au derrière s’appuyait de plus en plus sur l’aile la plus radicale des LR et était ainsi prêt à détruire son parti pour sauver sa candidature et la destruction du code du travail qu’il préparait. Enfin, Mélenchon appelait depuis plusieurs années déjà à la constitution d’une VIe République avec assemblée constituante tout en évitant soigneusement de dire quelle classe devrait régner dans cette nouvelle République.

En quelques mots : avant le 23 avril, il y avait la possibilité d’aller vers une République appartenant encore plus ouvertement aux patrons, une République pro-bourgeoise et anti-immigrée, ou vers une République dont l’objectif affiché serait la défense des opprimés. En tous les cas, le cadre de la Ve République sera dépassé dans les prochains temps.

Ce n’est pas par hasard que Mélenchon a explosé son score de 2012 (11,1 %). Il incarnait la possibilité d’une République avec une redistribution des richesses par un impôt plus juste, une augmentation significative du SMIC, des investissements massifs dans les services publics et la fin de la discrimination des migrants et des français d’origine immigrée. Les travailleurs et la jeunesse ont entrevu l’espoir d’un changement fondamental en leur faveur. Et ce ne sont pas seulement les travailleurs de France qui l’ont entrevu dans cette lutte commencée par l’extraordinaire mouvement dans les entreprises, dans les écoles et dans les rues contre la loi El Khomri. Leur mouvement et leur campagne est suivie par leurs camarades dans le monde entier.

Mais le fait est que Mélenchon n’est pas au second tour et dans les médias officiels, personne ne parle des raisons de cet échec. La principale raison réside dans l’absence d’une alliance entre la « France insoumise de Mélenchon et les secteurs du PS favorables à Hamon. Ce sont donc Mélenchon et Hamon qui sont les principaux responsables de cette défaite pour les travailleurs et du choix qui leur reste dans l’immédiat: voter Macron, voter Le Pen ou s’abstenir. Hamon avait dans un premier temps tenter d’amarrer la candidature de Mélenchon à la sienne. Ce dernier avait cependant compris qu’il avait plus à perdre dans cette alliance qu’à y gagner (même s’il avait peur de paraître comme celui qui empêchait l’unité de la gauche) en raison de la méfiance des travailleurs vis-à-vis du PS, et des coups des girouettes dans le PS appelant ouvertement à voter pour Macron. Au final, c’est donc Mélenchon qui était le candidat de la gauche combative et le score d’Hamon (6,36%) l’a empêché d’accéder au second tour. Cet échec laisse les travailleurs devant un choix pourri, nauséabond.

Que faire le 7 mai

Dans la situation actuelle où deux candidats, Macron et Le Pen, représentants à eux deux moins de 50% des suffrages exprimés au premier tour, nombreux sont ceux qui hésitent à voter ou qui ont déjà décidé de n’accorder leur voix à aucun des deux candidats. Dans leurs prises de paroles, tout semble les opposer. Le premier serait pour la « mondialisation », les entreprises, l’Union européenne. La deuxième se situerait aux antipodes. Elle serait contre la « mondialisation sauvage », pour la sortie de l’euro, pour « protéger » les salariés de la concurrence déloyale des étrangers…

La réalité est autre.

Les deux candidats ont pour objectif de tenir la baraque pour les bourgeois, de tenter d’unir « les Français » afin de faire taire les luttes sociales, la lutte de classes. Seuls leurs méthodes pour y parvenir diffèrent, mais cette différence a son importance.

Macron veut pousser la politique libérale d’un capitalisme mondial jusqu’au bout en continuant à affaiblir les droits des travailleurs et de leurs représentants syndicaux.

Macron est le candidat de la bourgeoisie financière, dépendante des banques et des échanges internationaux de capitaux et de biens. C’est la raison pour laquelle il veut quasiment supprimer l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), assouplir encore plus le code du travail, rester dans l’Union européenne, renforcer le contrôle des chômeurs et gouverner par décret dès son arrivée au pouvoir. Sa mission est donc de défendre la bourgeoisie en allant jusqu’au bout du projet qu’elle porte depuis la chute du mur de Berlin : atomiser la classe ouvrière pour faire chuter les prix de la force de travail. Loin de réduire l’armée des chômeurs, en poussant la précarisation et en réduisant la puissance des sydicats, il veut priver notre classe des moyens de défendre de ses intérêts, la mettre au pas.

Face à ce programme, Marine Le Pen peut, ces derniers jours l’ont montré, facilement se positionner comme candidate du « peuple ». Elle le peut d’autant plus facilement qu’elle employait, et le fait encore plus depuis le 1er tour, le même vocabulaire que Mélenchon. Comme lui, elle tape sur les « élites », « l’oligarchie » qui gouvernent la France sans tenir compte du « peuple ». Ces mots permettent de masquer la réalité, celle où les travailleurs sont licenciés non par une oligarchie ou des élites abstraites mais par des patrons identifiables et qui appartiennent, comme Marine Le Pen, à la bourgeoisie française et internationale.

Marine Le Pen se présente comme une candidate proche des travailleurs lorsqu’elle défend le retour à la retraite à 60 ans et l’abrogation de la loi El Khomri sur le code du travail. Lorsqu’elle se pointe devant le piquet de grève des ouvriers de Whirlpool mercredi 26 avril, qu’elle fustige les délocalisations, la fermeture du site et qu’elle promet qu’avec elle tout cela sera terminé, elle engrange, face au désespoir des travailleurs, des soutiens. Au passage, déjà sur le départ, elle attaque Macron pour être allé voir les représentants syndicaux du personnel loin de l’usine. Plus important, elle glisse que les représentants syndicaux ne représentent qu’eux mêmes. Pas besoin de savoir lire entre les lignes pour comprendre qu’arrivée au pouvoir, Marine Le Pen attaquera les syndicats et leurs représentants.

Elle a compris que pour remporter le 2e tour, elle doit apparaître comme la candidate qui protégera les travailleurs des méfaits de la « mondialisation », autrement dit du capitalisme. Avant le premier tour, afin de s’assurer un socle électoral solide, elle tapait davantage sur les immigrés, et prônait ouvertement la «priorité nationale ». A présent, elle met en avant la concurrence déloyale des travailleurs étrangers sans parler de l’exploitation des travailleurs par des patrons français ou étrangers.

Mais s’il y a pour elle concurrence avec des travailleur étrangers, c’est en fait pour jouer les travailleurs les uns contre les autres, français contre étrangers, français contre immigrés. Marine le Pen ne le dit pas, mais sa conquête du pouvoir préparée par son conseiller Florian Filippo vise à diviser les travailleurs en fonction de leurs origines afin de maintenir la domination de la bourgeoisie en France. Il ne faut jamais oublier que Marine Le Pen, cette fasciste issue d’une famille de fascistes, est avant tout elle même une grande bourgeoise très riche, membre de la classe capitaliste. Son objectif est d’unir patrons et salariés « français » contre l’étranger, les immigrés. C’est dans ce sens qu’elle souhaite regrouper « tous les Français », sans distinction de classe sociale, autour de « l’amour de la patrie »  ; un projet aux accents fascistes. Chez elle, et elle a cela en commun avec Macron, le clivage droite-gauche n’a plus raison d’être. Cette vision « sans classe » est une vision xénophobe et raciste. La priorité nationale doit être inscrite dans la constitution (et le sera dans des lois si la constitution ne peut être modifiée), les contrats prévoyant l’embauche d’étrangers doivent être taxés de 5%, les produits venant de l’étranger seraient taxés jusqu’à 30%. Ces mesures ne vont pas favoriser les salariés mais vont permettre aux patrons d’augmenter la pression sur les travailleurs immigrés et par conséquent sur les travailleurs français, tout en essayant de réserver le marché français à la bourgeoisie française et à la vente des produits de ses entreprises.

On peut donc prédire sans craindre de se tromper que Marine Le Pen n’appliquera que peu ou pas du tout son programme social de façade. Par contre, si par malheur elle arrivait à la tête de l’État, elle légaliserait une nouvelle forme de chasse à l’homme. Avec Marine Le Pen au pouvoir, l’appareil de l’État serait mis au service d’une politique raciste, de division et d’exclusion sociale au profit de la bourgeoisie. L’oppression des travailleurs dans leur ensemble serait renforcée, en commençant par celle des travailleurs immigrés. Son élection provoquerait immédiatement, comme au Royaume uni après le vote sur le Brexit ou l’élection de Trump aux Êtats unis, une vague d’attaques contre les immigrés et les migrants. Son élection serait un chèque en blanc pour tous les racistes et les fascistes. Ils ne se priveront pas d’attaquer les immigrés et tous ceux qui y ressemblent.

Alors oui, le 7 mai, ce n’est qu’entre deux candidats de la bourgeoisie que nous salariés pourront choisir. Mais entre un candidat bourgeois et une candidate bourgeoise raciste, il y a un choix.

Certains disent ne pas vouloir voter pour Macron parce qu’ils ont déjà voté en 2002 pour Chirac et que celui-ci n’a fait que les décevoir. Mais pour être déçu, il faut avoir des espoirs ou des illusions. En 2002, comme en 2017, alors que le danger n’est pas le même et que les situations sont différentes, c’est sans illusion qu’il faut voter Macron pour empêcher Marine Le Pen d’arriver au pouvoir. Ce sont en revanche ceux qui décideront de s’abstenir, soutenant que Macron et Le Pen seraient identiques, qui se font des illusions. L’illusion consiste à croire que Le Pen ne serait pas plus dangereuse à court terme que Macron.

Le résultat du 23 avril laisse donc un seul choix: voter Macron pour battre Le Pen tout en annonçant qu’il faut le combattre. Comme il faut combattre le projet raciste de sa concurrente. C’est dans la rue et les assemblées que les combats sont menés, mais cela ne signifie pas qu’on peut se payer le luxe de ne pas voter le 7 mai. Ou de voter blanc pour être « compté » comme ayant « protesté » contre le piètre choix proposé. Satisfaction personnelle peut-être, mais pauvre satisfaction tout de même, sachant que ni les bulletins blancs ni les abstentions ne comptent comme suffrages exprimés. En fin de compte, chaque « protestation » de ce type augmente d’une demi-voix les chances que la fasciste arrive au pouvoir le 7 mai au soir.

Le 1er mai, une femme affichait une pancarte, « d’abord battre Le Pen, puis combattre Macron » ; voici le programme des prochains jours.

Quelles perspectives après le 7 mai

Dès maintenant, il faut donc se préparer à contrer les premières attaques de Macron ou de Le Pen.

Macron a déjà annoncé qu’il voulait « réformer » le pays pendant l’été. Il a annoncé qu’il allait gouverner principalement par ordonnances et à coups de 49-3. Alors que Marine Le Pen déclenchera, si elle arrive au pouvoir, un coup d’Etat xénophobe et raciste contre le mouvement ouvrier et en particulier les syndicats, Macron annoce un coup d’État antisocial. Dès aujourd’hui, il est possible de convoquer des assemblées et d’appeler à des manifestations réclamant le retrait de la loi El Khomri et la fin de l’état d’urgence. Il faut certes combattre les fascistes islamise du Daech, mais pour le faire on ne peut pas compter sur l’État des patrons et ses policiers assassins et violeurs. Leur état de d’urgence n’a servi qu’à normaliser le racisme quotidien des contrôles au faciès et à contrecarrer la mobilisation contre la loi El Khomri. Ce n’est qu’en étant plus offensifs que nous pouvons défendre nos droits. Un peu partout en France, les manifestations du 1er mai avec 280.000 participants (selon la CGT) ont démontré que les travailleurs sont prêts à résister. Cela dit, les travailleurs ont besoin d’un front syndical uni de la manière la plus large possible. Ce front peut se constituer autour de quelques revendications précises comme le retrait de la loi El Khomri, la fin de l’état d’urgence, la régularisation des travailleurs sans-papiers, le retrait de la réforme du collège et pour une retraite à 60 ans pour tous sans décote.

Pour les législatives, il faut soutenir des candidatures uniques entre les membres de la France insoumise, du PS lié à Hamon et du PC. Cela appelle de fait la nécessité de réorganiser la force politique des travailleurs en créant un nouveau parti soutenu par la CGT, la France insoumise, le PCF, les secteurs du PS proche d’Hamon et l’extrême gauche qui doit abandonner d’urgence son sectarisme. Un parti non pas au dessus des classes, mais entièrement au service de la classe des travailleurs et des autres couches opprimées. Un parti ouvrant le débouché politique qui manquait si cruellement aux combats de l’année dernière: la véritable et seule possible Sixième République démocratique: une République des travailleurs et de la jeunesse.

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